BARTHÉLEMY D’EYCK

BARTHÉLEMY D’EYCK
BARTHÉLEMY D’EYCK

Barthélemy d’Eyck, originaire du Limbourg, s’est probablement formé dans cette contrée avant de devenir en France le peintre du roi René d’Anjou. Très proche de son maître, il l’accompagne en Provence et y travaille comme peintre et enlumineur. Il exécute assez jeune une partie de l’illustration d’un livre d’heures en collaboration avec Enguerrand Quarton. Ses œuvres majeures sont le triptyque de l’Annonciation d’Aix commandé par un des fournisseurs du roi René, puis l’illustration de trois manuscrits dont un, Le Cœur d’Amour épris fut rédigé par René d’Anjou lui-même. Ses qualités de paysagiste, de narrateur plein de fantaisie, son attention à la lumière provençale font de lui un des peintres les plus originaux et les plus attachants de son époque.

Les origines de Barthélemy d’Eyck

De longues recherches ont rendu presque certaine l’identification du maître du roi René avec Barthélemy d’Eyck, identification pressentie dès 1910 par P. Durrieu.

Originaire de Maeseyck, sa mère Ydria Exters a été mariée en premières noces avec un homme nommé d’Eyck, père de Barthélemy. Nous n’en savons pas plus. Mais nous la retrouvons en Provence avec son second mari Peter van Bijland, peintre et brodeur dont le nom francisé en Pierre du Billant ou Dubillant apparaît souvent dans les documents. Barthélemy est-il né à Maeseyck? Son œuvre révèle en effet une connaissance approfondie de l’art de son homonyme Jan van Eyck, du maître de Flémalle et des enlumineurs des Pays-Bas du Sud. A-t-il travaillé d’abord pour la cour de Bourgogne? Quoi qu’il en soit, René d’Anjou (1409-1480) le découvre de bonne heure. Charles Sterling constatait des traces de son influence sur les enlumineurs napolitains et pensait qu’il aurait pu avoir accompagné le roi à Naples où il séjourna de 1438 à 1442. Panofsky appelait Barthélemy «le frère jumeau de Konrad Witz» et relevait «leur modelé puissant basé sur des schémas stéréométriques, leur perspective audacieuse, leur style de drapé rigide, leurs ombres triangulaires et dures». Certains détails de ses architectures font penser à celles des Heures de Louis de Savoie (Bibl. nat., ms. lat. 9473 ), rapprochement pertinent déjà suggéré par G. Ring. En tout état de cause, Barthélemy se trouvait à Aix en 1443-1444 encore jeune, mais peintre de grande notoriété, car le drapier de René d’Anjou, Pierre Corpici, lui commande un retable connu aujourd’hui sous le nom de retable de l’Annonciation d’Aix.

Selon un testament du 9 décembre 1442, ce triptyque devait être placé sur un autel érigé à l’endroit de la sépulture de la famille Corpici, dans l’église Saint-Sauveur d’Aix. Il fut démembré et dispersé au cours des siècles et seul le panneau central se trouve encore à Aix dans l’église Sainte-Marie-Madeleine. Les volets latéraux furent identifiés par Hulin de Loo dans différents musées et dans des collections privées, ce qui permet donc de reconstituer l’ensemble. De nombreux détails trahissent la formation septentrionale du peintre. Ainsi le pupitre devant la Vierge est presque identique à celui qu’ont dessiné les frères Limbourg (Bibl. nat., ms. fr. 166 , frontispice, Saint Jérôme ), d’autres détails iconographiques sont dans la tradition des grands maîtres de son pays d’origine; certains chercheurs ont évoqué une parenté éventuelle avec Hubert et Jan van Eyck. La beauté du tableau résulte de la tension causée par l’éclairage irréel, irrationnel même, et la réalité palpable, sculpturale des personnages et des objets. Ni la Vierge ni l’ange Gabriel ne peuvent voir en réalité la face de Dieu le Père au-dessus de l’église, qui par sa bénédiction envoie les rayons du Saint-Esprit. La minuscule figure de l’Enfant Jésus semble guidée par les faisceaux de lumière descendant sur la Vierge. L’église vue en diagonale crée un contraste par rapport au premier plan: l’ange portant une chape pourpre, la Vierge dans une chape de brocart d’or qui se détachent comme les figures d’un bas-relief florentin. Dès 1938, Charles Sterling utilisa à leur propos le qualificatif de «cubiste». Le coloris vif et vigoureux évoque des effets de vitraux. On a d’ailleurs rapproché le triptyque du vitrail de Jacques Cœur dans la chapelle du même nom de la cathédrale de Bourges.

De la même époque date un document redécouvert grâce à la ténacité de Charles Sterling: le 19 février 1444, Barthélemy d’Eyck et Enguerrand Quarton sont mentionnés comme témoins dans un acte notarié à Aix. Un autre peintre, Bordier, est mentionné, qui achetait de l’étain servant à la fabrication des couleurs imitant l’or ou l’argent, mais aussi des outils, preuve que les trois peintres Bordier, Barthélemy et Quarton établis tous les trois à Aix se connaissaient. «Bartholomeus de Ayck», porte l’acte: Barthélemy aurait-il écrit lui-même ainsi son nom? Le notaire est plus probablement responsable de l’écriture phonétique directe du nom, en présence du peintre. Il n’est pas surprenant qu’à la même époque Barthélemy et Quarton se partagent l’illustration d’un missel (Bibl. P. Morgan, New York, ms. M. 358 ), comme l’a découvert F. Avril, qui attribue à Barthélemy les enluminures représentant les évangélistes, la Vierge à l’Enfant debout, la Vierge assise dans un jardin, la Visitation ainsi qu’une partie des décors des marges (folios 13, 14, 17, 19, 20 verso, 25 et 40). À partir de cette époque, Barthélemy semble consacrer tout son temps et son talent à l’illustration des manuscrits commandés par son maître. Il dispose même, du moins à la fin de sa vie, d’un lieu de travail auprès du roi René. Un problème important se pose donc aux chercheurs: Barthélemy d’Eyck a-t-il dû, et pour quelles raisons, renoncer à la peinture de grands panneaux? Peut-on aller jusqu’à voir dans le tableau du «Maître de 1456», peint sur parchemin (coll. du prince Liechtenstein, Vaduz), un autoportrait du peintre? Hypothèse audacieuse bien que le style et la technique aient été rapprochés de l’art de Barthélemy.

Barthélemy et le roi René d’Anjou

On a longtemps cru que quelques enluminures ajoutées à un livre d’heures de René d’Anjou (British Library, Londres, ms. Egerton, 1070 ) ont été peintes par Barthélemy lors de la captivité du roi à Dijon en 1435-1436, mais les armoiries ornant ce livre font penser, si l’on suit les conclusions de M. de Mérindol, à une date plus tardive vers l’année 1445 au plus tôt. L’enluminure macabre représentant le roi René mort, mi-squelette mi-cadavre (fo 53 vo), a été certainement peinte en Provence. Elle est caractéristique de la mentalité du roi: étrange coquetterie prémonitoire d’un homme qui découvre dans un «miroir de la mort» un avenir fort sombre. Aimant surtout les romans de chevalerie, le roi René en utilisait les trames pour écrire ses propres compositions. Dans ses narrations, il évoque la nature en observateur attentif aux moindres variations de lumière. Comme s’il écrivait un bon script pour un film, il devait se représenter l’illustration de ses propos et donc les concevoir en fonction de cette illustration, prévoyant l’association, voire la symbiose de l’auteur et de l’enlumineur. Cela explique la légende répandue en 1482 par le père de Raphaël Giovanni Santi et reprise en 1524 par P. Summonte , légende qui faisait du roi René un peintre de talent: «de soa mano pinse bene et a questo studio fu sumamente dedito pero secundo la disciplina di Flandre» ([le roi René] peignait très bien et dans cet art il suivait surtout la discipline des peintres flamands). Or la qualité des enluminures, que nous évoquons ici et que certains historiens de l’art voudraient attribuer à René d’Anjou, dépasse largement le niveau d’un peintre amateur, même excellent. Le roi René aurait pu faire des croquis ou des dessins pour orienter son enlumineur comme l’ont fait d’autres personnages de son temps: Jean Robertet, poète à ses heures, illustre ses recueils par des dessins. Mais on admire l’aptitude du roi à choisir ou à trouver un enlumineur sensible aux inflexions de son style très personnel. Dans son roman du Cœur d’Amour épris , le roi décrit deux «images», c’est-à-dire des statues, du «chastel de Plaisance»: «Et l’estoit l’un appelé Fantaisie et l’autre Ymagination, lesquelles avaient devisé le bâtiment du dit chastel comme maistresses d’euvres.» Deux qualités que son peintre devait également posséder. Et de fait Barthélemy nous fait glisser du texte imagé à l’image qui prolonge le récit en rêve, rend vrai l’invraisemblable.

L’illustration de la première partie d’une traduction de La Théséide de Boccace (O.N.B., Vienne, Cod. 2617 ), probablement peinte autour de 1465, reflète les expériences d’un peintre de grands panneaux. Sur le folio 39, Thésée, entouré d’Hippolita et d’Émilie, traverse les rues d’Athènes dans un char doré. L’enlumineur se souvient de Rome pour évoquer Athènes. Devant un temple rond (on distingue à l’intérieur une statue du dieu Mars), les veuves des princes tués par le tyran thébain Kréon, habillées en religieuses, désirent inciter Thésée à les venger. Le mélange des souvenirs romains associés à la représentation réaliste d’une ville à la fin du Moyen Âge avec ses nombreux badauds produit un effet étrange et devait rappeler au roi René ses entrées solennelles dans ses villes. Chaque illustration de La Théséide (dont la seconde partie fut illustrée par le maître de Jouvenel) s’oppose à la précédente, mais maintient ce climat de conte de fées. Au folio 53 verso, Arcitas et Palemon en prison regardent par une fenêtre grillagée Émilie assise dans un jardin à l’intérieur du château. Scène toute d’intériorité. Nous participons à l’émotion des deux prisonniers: leurs regards sont tendus vers Émilie qui leur tourne le dos; elle semble pensive, certes, elle est libre, mais le jardin muré l’enferme aussi.

Dans le Traité sur la forme et le devis d’un tournoi (Bibl. nat., ms. fr. 2695 ) le roi René, grand amateur de joutes, le «sport» de la haute aristocratie, consigne les moindres détails de ces événements. Tout est réglementé. Dans ce livre, il a sans doute pu transmettre les détails de ses descriptions à l’illustrateur grâce à des croquis. Mais l’agencement des compositions, les figures trapues aux visages réguliers ressemblent trop à celles du Livre de Cœur pour qu’on puisse admettre une intervention plus poussée du roi. D’ailleurs, le texte très précis de ce traité didactique, accompagné de quelques indications orales, aurait presque suffi à Barthélemy pour réaliser ces dessins légèrement rehaussés d’encre.

«Le Cœur d’Amour épris»

Apogée de l’art de Barthélemy, l’illustration du roman du roi René, Le Cœur d’Amour épris (O.N.B., Vienne, Cod. 2597 ) est unanimement considérée comme un des chefs-d’œuvre de l’enluminure française. Le roi y raconte, en vers et en prose, la conquête de «Douce Merci» par le galant chevalier Cœur accompagné par son écuyer Désir. Mais ce renouvellement du roman de chevalerie par excellence, le Saint-Graal, n’est pour lui qu’un prétexte pour mettre en scène ses propres sentiments, voire ses rêves. Sur la première illustration, une main invisible, celle de Cœur, tire le rideau de l’alcôve: «Amour hors du corps mon cœur mist / Et à Désir il le soumist.» On pense aux mises en scène du théâtre médiéval. L’enlumineur a réussi le pari d’illustrer littéralement ce propos dans un intérieur et dans une ambiance nocturne. Source de la lumière, une chandelle cachée à droite sous un escabeau fait office de projecteur comme il est d’usage dans la technique des représentations des Mystères. Mais, comme O. Pächt l’a admirablement montré, l’ombre n’est qu’une mutation de l’intensité des couleurs. «Le blanc devient un gris, le rouge une nuance de violet. Ce sont des couleurs sombres, mais ce sont des couleurs.» Cœur nous explique: «Moitié dormant ou rêverie – ou que fut vision ou songe – / avis m’estoit et sans mensonge / qu’Amour hors du corps mon cœur mist / et à Désir le soumist.» La lumière devient l’intermédiaire qui transforme les allégories en réalités. Le cœur, rouge vif, point d’orgue coloriste, passera dans les mains tendues de Désir. Les nombreuses flammèches qui se détachent sur son pourpoint blanc symbolisent l’intensité de sa passion. Amour, aux ailes discrètes bleu-vert, porte un costume oriental. L’ourlet de sa tunique est orné de lettres cunéiformes (René d’Anjou possédait différents abécédaires de lettres étrangères). L’intérieur avec ses tapis, le lit de camp, les emblèmes du roi aux murs (le bâton écoté, l’arbre sec), toutes ces allusions augmentent le contraste entre le réel et le climat surréaliste «songe-mensonge».

Cœur et Désir passent la nuit dans la forêt de Longue Attente proche de la Fontaine de Fortune (fo 12 vo). Les chevaliers se reposent. Le seul éclairage vient des étoiles. On pense à Uccello. La hardiesse, l’originalité sont encore plus éclatantes dans l’enluminure suivante (fo 15). Le soleil se lève, Désir dort encore, le cheval, crinière et queue blanches, broute. Cœur s’est levé et déchiffre l’inscription: «Sous ce perron, de marbre noir comme charbon, sourd la fontaine.» Au-dessus de la prairie vue d’en haut, le soleil, grand globe entouré d’un nuage scintillant, projette sur le pré les ombres de la haie verte. L’herbe en prend une couleur jaunâtre.

La rencontre de Désir et de Humble Requête, le «poursuivant» d’Amour (fo 31 vo), a lieu dans un paysage ouvert en profondeur. Un effet de perspective curvilinéaire met en valeur la scène du premier plan. Désir vient de s’arrêter. Humble Requête s’approche, salue Désir en enlevant humblement son chapeau fourré. Le paysage prolonge, complète la narration. C’est moins une symbiose qu’un glissement du «coloris» du texte aux nuances des teintes vibrant dans la lumière.

L’avant-dernière enluminure (fo 47 vo) montre l’arrivée des trois amis devant une petite chapelle, après une longue chevauchée: «Ils descendirent de dessus leurs chevaux et entrèrent en la chapelle de l’ermitage.» Désir, vu de dos, voit ce que nous devons retrouver dans le texte: il trouve «l’ermite disant ses complies». Dans cette véritable étude de la lumière au crépuscule, lumière dorée, rougeâtre qui se détache devant le bleu-nuit du ciel, les personnages et les chevaux du premier plan sont déjà dans la pénombre. Les changements rapides de l’éclairage au coucher du soleil, infimes variations des rouges et des blancs sont enregistrés avec virtuosité: le cheval blanc de Largesse en paraît gris-bleu. Barthélemy réussit, tour de force souvent remarqué, à transfigurer le quotidien en beauté, ainsi le cheval faisant ses besoins.

L’illustration du livre s’arrête au folio 55. C’est probablement la mort de l’enlumineur qui mit fin à son travail. Une fois de plus, il faut admirer le goût du roi René qui n’a pas laissé un autre peintre terminer l’illustration de ce chef-d’œuvre.

Quand, en 1521, Pélerin Viator, dans la troisième édition de son traité De artificiali perspectiva , veut évoquer les grands peintres du XVe siècle, il mentionne aux côtés de Fouquet et de Poyet le nom de «Berthelemy».

Encyclopédie Universelle. 2012.

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